La photo que je n’ai pas prise

La photo que je n’ai pas prise
La photo que je n'ai pas prise | Macromike Photo

Concordance des Temps

La photo que je n'ai pas prise

Ou comment le Mont-Blanc, un gypaète barbu et trop de lumière m'ont rappelé pourquoi je fais ce métier.

Gypaète barbu en vol devant le Mont-Blanc, photographié depuis le col de la Balafrasse
Gypaète barbu devant le Mont-Blanc — Col de la Balafrasse. La photo "ratée" qui raconte pourtant toute une histoire.

Ce matin-là, je suis monté au-dessus du col de la Balafrasse avec une idée fixe : le gypaète barbu.

Ceux qui connaissent cet oiseau savent ce qu'il représente. Près de trois mètres d'envergure. Un regard orangé cerclé de noir. Le casseur d'os, revenu d'entre les morts après avoir frôlé l'extinction dans les Alpes. Le photographier correctement, c'est un graal. Une image que je porte en moi depuis des années.

L'attente

Le froid. Le silence. Ce moment suspendu où l'on scrute le ciel jusqu'à en avoir mal aux yeux. Et puis, enfin — une silhouette. Immense. Reconnaissable entre mille.

Il arrive.

Je lève l'appareil. Je cadre. Il passe.

Trop loin.

Le manège

Il revient. Mon cœur s'emballe. Cette fois, je suis prêt. Le Mont-Blanc se déploie derrière lui, immaculé, comme posé là exprès pour composer l'image parfaite.

Je déclenche.

Trop de lumière. Un ciel d'un bleu aveuglant. L'oiseau, minuscule dans ce théâtre trop vaste.

Il repasse encore. Et encore. À chaque fois, le même constat : il est là, le Mont-Blanc est là, tout est là — sauf la photo.

Ce que j'ai ramené

Sur ma carte mémoire, il y a des images. Techniquement correctes. Documentaires, presque. On y voit un gypaète. On y voit une montagne. Mais on n'y voit pas ce que j'ai ressenti.

Cette photo-là, celle que je voulais vraiment, elle n'existe que dans ma tête. Elle y restera peut-être pour toujours. Un gypaète royal, plein cadre, ses plumes fauves caressées par une lumière d'or, le Mont-Blanc en majesté derrière lui — net, puissant, évident.

Pourquoi je vous raconte ça

Parce que la photographie animalière, c'est ça. C'est accepter que la nature ne vous doit rien. Que la lumière fait ce qu'elle veut. Que l'animal sauvage ne pose pas.

On peut faire des heures de route, des heures de marche, des heures d'attente. On peut tout faire parfaitement. Et repartir avec une image qui ne sera jamais à la hauteur du moment vécu.

Mais voilà le secret que je garde de cette journée : j'ai vu un gypaète barbu survoler le Mont-Blanc.

Pas à travers un écran. Pas sur Instagram. Là, devant moi, dans l'air glacé du matin, avec le bruit du vent et l'odeur de la neige.

Aucune photo au monde ne vaudra jamais ça.

La prochaine fois

Je remonterai. Peut-être cet hiver, quand la lumière sera plus douce, plus rasante. Peut-être qu'il repassera au bon moment, à la bonne distance. Peut-être que cette fois, l'image rejoindra enfin le souvenir.

Ou peut-être pas.

Et c'est aussi ça, la magie.


Mickaël Giraud-Telme

Photographe de nature sauvage, quelque part entre patience et émerveillement.

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